dimanche 12 juillet 2020

Texte de John Zorn sur Ennio Morricone


A la suite du décès de Ennio Morricone, le New York Times a publié un texte de John Zorn sur le compositeur : Ennio Morricone Was More Than Just a Great Film Composer.
Voici la traduction française de ce texte (traduction : Moe Lee)

Ennio Morricone était plus qu'un grand compositeur de cinéma. C'était un grand compositeur, point.

par John Zorn, le 8 Juillet 2020

Ennio Morricone était plus qu'un des grands compositeurs de musique de film – il était un des plus grands compositeurs au monde, point. Pour moi, son travail se tient aux côtés de ceux de Bach, Mozart, Debussy, Ellington et Stravinsky en accomplissant cette rare fusion du cœur et de l'esprit. Oserions nous comparer les cinq notes de son « cri de coyote » dans « Le Bon, la Brute et le Truand » aux quatre notes de l'ouverture de la Cinquième Symphonie de Beethoven ? La musique de Morricone est tout aussi intemporelle.

Morricone, qui est mort lundi à 91 ans, a été une influence et une inspiration depuis que j'ai découvert son travail étant adolescent en 1967. « The Ecstasy of Gold » du « Bon, la Brute et le Truand » m'a frappé avec la même puissance que des chefs d’œuvre modernistes comme « Le Sacre du Printemps », la Quatrième Symphonie de Ives et « Arcana » de Varèse, ce morceau partage leur invention rythmique complexe, leur monde sonore fouillé et leur luxuriante étendue romantique.

Embrassant les envolées lyriques de son héritage Italien, le don de Morricone pour la chanson était extraordinaire. Il était de ces musiciens qui pouvaient créer une mélodie inoubliable avec une poignée de notes. Son savoir faire méticuleux et son oreille pour l'orchestration, l'harmonie, la mélodie et le rythme résultaient en une musique parfaitement équilibrée. Comme chez tous les grands maîtres compositeurs, chaque note était là pour une raison. Changez une seule note, un rythme, un silence, et il y a diminution.

En ayant des racines à la fois dans la musique populaire et dans l'avant garde, Morricone était un innovateur, et il triomphait de chaque nouveau challenge avec une approche nouvelle, conservant une curiosité et un sens de l'émerveillement enfantins. Il était toujours ouvert à essayer de nouveaux sons, de nouveaux instruments, de nouvelles combinaisons -  puisant rarement deux fois au même endroit.

Il était un homme intègre qui ne supportait pas beaucoup la bêtise. Les récits de ses réponses à certaines suggestions ineptes de réalisation sont légendaires, incluant une de mes préférées : « Dans l'histoire de la musique, rien de tel ne s'est jamais produit, et ne se produira jamais ». Il vivait une vie relativement simple dans un bel appartement à Rome, se levant à 4h30 du matin, faisant des promenades et composant à son bureau pendant des heures jusqu'au bout. Il voyageait peu.

Ce que nous devons comprendre, c'est que Morricone était un magicien du son. Il avait une habileté déroutante pour associer des instruments de manière originale. Ocarina, fouet ( slapstick ), sifflements, bruits de guitare électrique, grognements, sons électroniques et et hululements dans la nuit : tout était bienvenu pour obtenir un effet dramatique. Dans les années 60, la guitare électrique était au centre de sa palette, et il était capable de l'incorporer dans une multitude de contextes inhabituels avec un flair incroyable. Dans « Svegliati e Uccidi » il demande au guitariste d'imiter le « rat-a-tat-tat » d'une mitrailleuse avec le ressort de la reverb sur son amplificateur, et sa directive au musicien de « sonner comme une lance » a engendré un des sons de guitare les plus intenses jamais enregistrés, dans « Il était une fois dans l'Ouest ».

Sa maîtrise d'un vaste éventail de genres et d'instruments ont fait de lui un musicien en avance sur son temps. Il pouvait explorer des techniques approfondies sur une embouchure de trompette dans un contexte free improvisation le matin, écrire un arrangement big band séduisant pour un chanteur pop l'après midi, et composer une bande originale de film enflammée le soir. Ce genre d'ouverture continue d'être la voie du futur – et a été un modèle formateur pour moi.

Morricone est plus connu pour son travail avec le cinéma, mais nous ne devons jamais oublier son large catalogue de musique « absolue » - ses compositions classiques. Là, la musique vient directement de son cœur. Et pourtant, ce qu'il a accompli dans le monde restreint et exigeant de la musique de film est tout simplement miraculeux. Là, son immense imagination, son oreille affûtée pour la dramaturgie, son lyrisme profond, son sens de l'humour malicieux et son immense cœur trouvent leur voix dans une musicalité magnifique et maîtrisée. La liberté artistique était son credo, son goût impeccable et son sens inné de l'énergie, de l'espace et du temps étaient palpables. Son travail a magnifié chaque film qu'il a mis en musique.

Un de mes plus chers souvenirs est d’être allé le voir à une session d'enregistrement à New York, autour de 1986. Il était, comme toujours, un gentleman : élégant, gracieux, et plus qu'aimable avec un jeune fan qui était intimidé face à son héros. Nous avons parlé par le biais d'un interprète pour la majorité de notre conversation, mais il m'a pris à part pour quelques moments et a partagé avec moi quelques conseils de composition quant au travail avec le cinéma. Je n'oublierai jamais ce qu'il m'a dit ce jour là : « Oublie le film. Pense au disque de la bande originale. »

Beaucoup de compositeurs se demandent, et se soucient même, de savoir si leur travail leur survivra – si on se souviendra de leur contribution ou si on chérira leur musique. Morricone n'a rien à craindre de ce côté là. Son travail a été adopté, il a accompli ce rare équilibre d'être une influence profonde pour le monde des musiciens et pour la société dans son ensemble. Ses aventures sonores vivent de leur propre mérite, à la fois dans le contexte des films pour lesquelles elles existent, et en termes de pure musique. C'était sa magie.

Il était plus qu'une figure de la musique. Il était une icône culturelle. Il était le maestro – et je l'aimais avec tendresse.

Traduction : Moe Lee

Original https://www.nytimes.com/2020/07/08/arts/music/ennio-morricone-john-zorn.html?referringSource=articleShare&fbclid=IwAR01zCzg5gynKtAhmNuW8OsJd-E4dqZqNscIfn9CXh_O5numBc4UQWo9DDo


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